retour Accueil Les débuts de l'A.O.I.P. par E. Briat (1932)

Discours d'Edmond Briat (voir sa biographie) le 12 décembre 1932, à l'occasion de l'agrandissement des ateliers de la rue Charles Fourier. Inauguration par M. Albert DALIMIER, Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale, délégué par le Gouvernement de M. Edouard HERRIOT.
Ce texte est intéressant car il résume les 35 premières années de l'A.O.I.P. par celui que l'on peut qualifier de fondateur. Par contre il est, à mon avis, un peu trop condescendant envers le gouvernement qui, ne l'oublions pas, est son principal client.

Notre camarade Edmond Briat, fondateur, prononça le discours suivant :

" Monsieur le Président,
" Mesdames,
" Messieurs,
" Camarades,

" J'adresse à M. le président Herriot, qui a bien voulu nous faire l'honneur de faire représenter le gouvernement par M. Dalimier, ministre du Travail, nos plus sincères remerciements pour le dévouement qu'il a montré et la collaboration qu'il a donnée en maintes circonstances à la Coopération ouvrière de production. Je remercie aussi M. Dalimier qui, depuis très longtemps, s'est occupé des questions sociales et qui, au ministère du Travail, s'attache de plus en plus à essayer d'améliorer la situation de la classe ouvrière. En ce qui concerne les Coopératives ouvrières de production, il a tout dernièrement donné son appui, le plus dévoué, à un projet qui lui avait été adressé, tendant à inscrire dans le budget d'outillage national un crédit de vingt millions, en vue de permettre, à la Commission compétente, d'attribuer aux associations ouvrières de production, les crédits indispensables à leur développement.

" Je remercie les membres des grandes administrations; je ne voudrais pas citer toutes les personnes ici présentes, mais seulement les associer au nom de M. Lange, directeur de l'exploitation téléphonique, et leur adresser nos plus sincères remerciements pour la sympathie qu'ils accordent à notre Société.

" Je remercie aussi les représentants des grandes administrations avec lesquelles nous travaillons et je remercie tous nos clients de la continuité de leurs commandes et surtout des bons rapports que nous avons avec eux. Je remercie les directeurs des Coopératives de la région parisienne qui sont venus assister à cette petite manifestation du travail. J'adresserai un remerciement particulier à nos amis Charrial, président du Conseil d'administration, qui est venu de Lyon accompagné de notre dévoué ami Goton, et à Debliqui, qui est venu de Roubaix.

" Je remercie tous nos associés et tous nos collaborateurs, car si nous sommes arrivés, après trente-cinq ans, à être, dans la branche de la téléphonie, une des maisons les plus importantes de France, c'est grâce au dévouement de tous nos anciens, à l'excellente collaboration des jeunes, à la continuité de l'effort et du dévouement apportés par tous ceux qui sont appelés à une fonction d'administrateur, de directeur, de chef d'équipe. C'est grâce à cet effort de tous, à l'effort aussi de nos collaborateurs, de nos auxiliaires, que nous avons pu faire face à nos affaires, nous développer, et que nous pouvons espérer traverser la crise qui sévit depuis longtemps sans que nos collaborateurs aient trop à en souffrir. (Applaudissements.)

" Je voudrais maintenant, en peu de mots, vous donner quelques explications sur notre œuvre. Etant aujourd'hui un des rares fondateurs de notre Société, je me souviens de ses débuts et je peux les rappeler brièvement.

" C'est en 1896 que des membres du Syndicat des ouvriers en instruments de précision eurent l'idée, après avoir lutté longtemps dans le Syndicat, de chercher une formule qui, à côté de cette lutte, organise le travail et donne aux travailleurs plus de liberté dans leur action. Soixante membres du Syndicat — qui en comportait environ huit cents — se sont ainsi réunis en 1896 avec l'idée de fonder une coopérative. Les statuts élaborés, on commença, 117, avenue du Maine, dans un petit atelier où je me rappelle avec émotion avoir rencontré un homme trop tôt disparu, venu là faire une de ses premières enquêtes, M. Arthur Fontaine, qui réunissait des renseignements sur l'organisation du travail.

" Au début, nous avions eu la prétention de travailler pour les savants, de travailler pour les astronomes, et je me rappelle mes visites au directeur de l'Observatoire de Paris, cet homme de haute valeur me disant que les crédits aux savants étaient des plus modestes et ne permettaient pas d'avoir l'outillage nécessaire, si bien qu'au lieu de commandes je m'en retournai auprès de mes camarades avec simplement de bonnes paroles.

" Le cinéma venait alors de faire son apparition. Nous nous y sommes lancés. Là je me souviens d'une affaire où nous n'avons pas eu de chance. Nous avons travaillé pour M. Normandin, qui était l'organisateur du cinéma au Bazar de la Charité, qui eut une fin si tragique. Il y eut alors une période critique, difficile, où les camarades connurent le chemin du Mont-de-Piété, appelé depuis Crédit Municipal, où les uns et les autres portaient à escompter les petites valeurs qu'ils pouvaient avoir, de façon à permettre de faire face aux échéances.

" Puis l'idée nous vint d'aller aux Postes et Télégraphes. C'était alors M. Boucher qui était ministre. Il nous donna immédiatement une commande d'appareils Morse. Nous sommes revenus heureux et nous nous sommes mis au travail. Après les appareils Morse sont venus les appareils Baudot. Nous avons dû alors déménager de l'avenue du Maine pour aller rue de Vanves ; là, nous nous sommes lancés dans la téléphonie.

" A partir de ce moment, nous avons trouvé aux P. T. T., auprès des directeurs qui s'y sont succédé, l'encouragement le plus grand et aussi le concours le plus dévoué. Des appareils de téléphonie, nous sommes passés aux standards ; des standards nous avons fait, à la demande de M. Dennery, encore un homme trop tôt disparu, le multiple de Rouen. Nous avons progressé, nous avons déménagé de nouveau et nous nous sommes installés dans un immeuble de l'impasse Sainte-Léonie (rue Pernéty). Quelques années après nous achetions ici-même, rue Charles-Fourier, trois mille mètres de terrain pour y construire nos premiers ateliers.

" Nos premiers ateliers furent de plain-pied, puis on conçut l'idée de construire sur la rue Charles-Fourier. Quelques années plus tard, on fit un étage, puis après, trois étages, et tout dernièrement, poussés un peu, je dois le dire, par l'Administration des P. T. T., en vue de la construction de l'automatique, nous avons édifié cet immeuble, ces ateliers que vous avez visités et cette salle de réfectoire où tous les jours environ cent membres de notre personnel reçoivent l'hospitalité pour le déjeuner.

" Puis, nos affaires industrielles marchant bien, nous nous sommes rappelés que nous avions aussi des idées sociales et que nous avions préconisé dès 1902, au Conseil supérieur du Travail, l'apprentissage avec le demi-temps. C'est à ce moment que l'idée fut soumise à l'assemblée générale et qu'après discussion, était décidée la création d'une école d'apprentissage avec demi-temps, le travail manuel étant coupé par des travaux théoriques, de manière à permettre de faire des ouvriers complets ayant reçu non seulement l'enseignement pratique mais aussi l'enseignement technique et théorique. Cette école d'apprentissage, qui reçoit dix enfants chaque année, est actuellement des plus prospères et nous avons le plaisir de constater que dans notre état-major un certain nombre de nos anciens apprentis sont devenus soit directeurs, soit professeurs, soit administrateurs.

" Nous avons pensé en effet qu'il ne suffisait pas de construire une affaire pour soi, mais qu'il fallait qu'à cette affaire soit assurée la continuité. Cette continuité, nous ne pouvons l'obtenir qu'en créant de nouveaux ouvriers qui, plus tard, seront animés de notre mentalité sociale, nous donnant cette sécurité que, les anciens disparus, ils sauront continuer leur œuvre.

" A côté de l'école d'apprentissage, nous avons pensé aussi qu'il arrivait un âge où la fatigue ou l'état de santé obligeaient l'ouvrier au repos. Mais le repos, quand on n'a rien, quand on n'a pas de retraite, ce n'est pas le repos, c'est la misère. Aussi avons-nous prélevé sur nos bénéfices une part de trente pour cent qui alimente une caisse de retraites.

" Aujourd'hui nous sommes heureux de pouvoir dire que nos vieux collaborateurs, quand ils ont environ vingt-cinq ans de travail à l'Association, touchent au minimum mille francs par mois sans avoir, en quoi que ce soit, contribué à cette retraite par des versements. C'est la collectivité qui, par des versements, a permis de faire cette retraite et d'assurer à nos vieux camarades — dont beaucoup sont présents ici — non le luxe mais le nécessaire. (Applaudissements.)

" Voilà, Mesdames et Messieurs, très rapidement exposés, les résultats obtenus par l'œuvre que nous avons créée, il y a trente-cinq ans. Nous marchons, mais nous sommes actuellement, comme toutes les affaires industrielles, un peu paralysés par suite de la crise qui sévit non seulement en France, mais dans le monde entier. Nous avons cependant l'espoir, étant donné que notre affaire est alimentée exclusivement avec des capitaux appartenant à la classe ouvrière, de surmonter tous les obstacles. Il n'y a pas, en effet, dans notre Société, de capital étranger; ce sont nos camarades, nos associés, qui sont les actionnaires. (Applaudissements.)

Nous avons évidemment besoin parfois d'un concours bancaire; dans certaines circonstances où notre trésorerie était un peu légère, la Banque Coopérative, subventionnée elle-même, en ce qui concerne les prêts, par le Ministère du Travail, nous a rendu service. Je dois dire aussi que, dans des moments difficiles, le ministère du Travail a consenti des avances importantes à notre Société. Aujourd'hui, nous sommes en bonne voie de réalisations, mais nous demandons au gouvernement, monsieur le Ministre, de bien vouloir, pour les travaux qui sont donnés par les grandes administrations, penser à cette forme d'association qui représente, à mon avis le modèle de l'organisation future du travail, et ne pas l'oublier dans la répartition des travaux.

" Nous demandons aussi la sécurité pour nos collaborateurs, et l'assurance d'un travail leur permettant de réaliser un gain normal. Je dois vous dire, monsieur le Ministre, que l'ensemble de notre personnel, appelé à se prononcer sur le principe de la semaine de quarante heures, s'y est déclaré favorable. Nous avons constaté qu'il y a en ce moment beaucoup trop de chômeurs et nous estimons que notre devoir est d'accepter tout ce qui est de nature à diminuer ce chômage; depuis longtemps, dans nos coopératives, nous avons préconisé la réduction de la journée du travail, que nous désirons et souhaitons pour le bien de l'humanité.

" Je vous ai résumé très brièvement, monsieur le Ministre, l'historique de notre Association. Je vous remercierai en terminant d'avoir bien voulu, dans les moments difficiles que traverse le gouvernement, quitter pendant quelques heures la Chambre pour venir nous apporter, par votre présence, le réconfort de l'amitié que vous témoignez aux travailleurs. (Vifs applaudissements.)

" J'ai oublié, dans mes remerciements, M. le maire Ollivier, qui est un ami de vieille date; je m'en excuse auprès de lui. "

Edmond BRIAT

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