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(Janvier 1948)

Article paru dans le journal “ LE MONDE COOPERATIF ” (Janvier 1948)

Lorsque l'on écrira l'histoire des réalisations coopératives du siècle, la Verrerie Ouvrière d'Albi n'y figurera pas seule comme un événement symbolique, un exemple et un enseignement. Les mêmes titres seront attribués à l'Association des Ouvriers en Instruments de Précision, cette création de pionniers audacieux qui surent, à travers les obstacles et les difficultés, suivre d'énergiques impulsions et acquérir, dans tous les domaines, une place de premier plan.

Un atelier de montageIl y a une quinzaine d'années, lors de l'inauguration d'ateliers agrandis, notre grand ami Charial, président de la Chambre Consultative des Associations ouvrières de Production, adressait à l'A. O. I. P. cet hommage sincère et fraternel des coopérateurs :
“ Nous avons toujours les yeux fixés sur cette Association, qui a toujours marché de l'avant, non seulement dans la voie du développement commercial, mais aussi et surtout dans la voie du développement des œuvres sociales. ”

Le temps, en apportant de nouvelles pierres à un édifice solide et harmonieux, n'a fait que confirmer, en la renforçant, une opinion qui est celle de tous ceux connaissant l'A. 0. I. P.

Les débuts de l'Association des ouvriers en instruments de précision

C'est en 1896 que quatre-vingt ouvriers spécialisés fondèrent l'Association des Ouvriers en Instruments de Précision, avec un capital de 20.000 francs, représenté par 200 actions. L'atelier social fut ouvert dans un petit local, 117 avenue du Maine, à Paris ; le camarade Viardot, nommé directeur, fut chargé d'installer l'outillage indispensable et de trouver des travaux. Après de nombreuses démarches, il obtint une commande de 110 appareils photographiques au prix de 25 francs l'un, somme insuffisante pour couvrir les frais initiaux. Les associés, jamais découragés, se mirent à la besogne avec l'ardente volonté de réussir.

Le souci technique des livraisons de la jeune Association modelait peu à peu sa réputation, ce qui lui valut quelques commandes de l'Administration des P. T. T.; les premières années sont pénibles et l'aménagement en outillage des ateliers occasionne de lourdes dépenses. En 1898, l'atelier social est transféré 37 rue de Vanves, pour avoir plus d'espace; en 1900, pour un même motif, installation 6 impasse Sainte-Léonie.

1900 est l'année ouvrant véritablement le cycle de la réussite. Les P. T. T. augmentent le volume de leurs commandes, le nombre des ouvriers s'accroît avec l'importance des travaux. Le cap périlleux est définitivement franchi et, en 1905, le bénéfice atteint 71.766 francs.

C'est alors que le Conseil d'administration décida d'acquérir un terrain sur lequel s'élèvent, rue Charles-Fourier, du 8 au 14, les fiers bâtiments, clairs et aérés, de l'A. O. I. P.

LA PERIODE D'ASCENSION

Les travaux de construction commencèrent en juillet 1907 et, au début de janvier 1908, l'atelier social prenait possession des nouveaux locaux. Un bureau d'études, qui donna d'excellents résultats, fut créé sous la direction de l'ingénieur Wilhelm. La période d'ascension commençait son incomparable essor. En 1910, l'effectif comprend 92 associés et 22 auxiliaires, tandis que le capital est porté à 80.000 francs.

La difficulté de créer et de faire vivre une œuvre collective, malgré les encouragements et les appuis rencontrés, a insufflé aux dirigeants une persévérance exemplaire. Avec courage, regardant l'avenir avec une confiance décuplée, ils abordent la période qui ira de 1911 à 1920.

Les commandes se succèdent avec un rythme accéléré ; elles appellent l'agrandissement de l'atelier et du bureau d'études ; elles conditionnent également l'ouverture d'une Ecole professionnelle pour former de bons mécaniciens ; la guerre de 1914 vint, hélas ! briser les espoirs des ouvriers.

L'Association était atteinte dans ses œuvres vives; après la mobilisation, l'effectif ouvrier ne fut plus que de 54 au lieu de 183. La production subit une forte baisse; elle fut rapidement compensée par les besoins des services de la Défense nationale, à telle enseigne qu'il fallut remplacer le personnel aux armées pour satisfaire des commandes nombreuses et urgentes. Au surplus, il devenait à nouveau indispensable d'agrandir les ateliers, de se procurer du matériel, d'augmenter le personnel d'exécution. En deux ans, l'Association résolut ces problèmes vitaux.

L'outillageUn bâtiment fut donc construit en 1916, comprenant un rez-de-chaussée et un premier étage, surélevés par la suite de deux autres étages pour faire face à l'extension des affaires. Parallèlement, le nombre des ouvriers est en progression : 220 en 1915, 250 en 1916, 260 en 1917, 295 en 1918.

Pour passer des commandes de guerre aux travaux du temps de paix, l'adaptation de la coopérative bénéficia de l'expérience incontestable de ses dirigeants. Un nouveau modèle de standard téléphonique à batterie centrale, destiné à équiper les centraux de l'Administration des P. T. T., fut primé et permit d'obtenir un marché très important. On peut évaluer à 200 le nombre des villes possédant ce matériel impeccable, constamment perfectionné, suivant les progrès constants de la technique téléphonique.

En vingt-cinq ans, l'A. 0. I. P. est devenue un vaste établissement industriel ; elle a conquis une place prépondérante parmi les constructeurs d'instruments électriques; elle s'est acquis une spécialité : celle de la fabrication des plus grands appareils de la téléphonie. Il était, toutefois, indispensable de se plier aux méthodes du travail rationnel.

A la fin de 1920, un plan général fut établi. Il comportait une organisation méthodique de l'établissement, divisé en cinq services coordonnés entre eux. En 1924, une nouvelle branche de fabrication fut instaurée : celle des appareils de mesures électriques.

Les ateliers et les bâtiments, constamment aménagés et agrandis, purent l'être sans faire appel à aucun concours financier; c'est là la pierre d'assise d'une prospérité qui ne connaît aucun ralentissement.

LES BASES COOPERATIVE

L'A. 0. I. P., société coopérative ouvrière de production à capital et personnel variables, fonctionne avec des statuts maintes fois modifiés pour les maintenir dans les cadres de la loi et du progrès. Le capital est actuellement de 400.000 francs. L'Association a pour objet l'exercice en commun de la profession pour la fabrication des instruments de précision de la mécanique en général et des appareils électro-mécaniques.

Pour être admis comme associé, les ouvriers doivent appartenir depuis deux ans au moins à un groupement professionnel ; il leur faut faire la preuve qu'ils ont fait leur apprentissage dans la mécanique de précision ou dans la mécanique générale et satisfaire à un essai préliminaire.

Les produits nets annuels, déduction faite de toutes les charges sociales, constituent les bénéfices. Les pertes subies par l'Association, ses versements à la Compagnie d'assurances contre les accidents du travail, l'indemnité de maladie et la période militaire, la Caisse de retraites représentent les charges sociales.

Les bénéfices sont répartis de la façon suivante : 5 % au fonds de réserve ; 1 % au fonds de développement ; 50 % à la Caisse de retraites de l'Association ; 18 % aux parts d'intérêts ; 26 % aux parts travail.

Les bases coopératives de l'A. 0. I. P. ont été fortement consacrées par l'expérience et par. la réussite, ces deux références irréfutables.

LES OEUVRES SOCIALESL'École Professionnelle

Une organisation coopérative n'est jamais saturée de solidarité ; l'A. 0. I. P. en a puissamment administré la preuve par des réalisations tangibles.

La première et la plus importance est la Caisse de retraites, créée en 1917 et financée par un prélèvement sur les bénéfices. Tous les travailleurs, ayant un minimum de dix années de présence consécutive, ont droit à la retraite, obligatoire à 65 ans.

En cas de décès d'un associé ou d'un retraité, sa veuve ou sa compagne, justifiant de dix années de vie commune, touche, à 55 ans, le tiers de la retraite acquise.

Les barèmes de retraite suivent automatiquement les fluctuations des salaires de l'Association. Une retraite est actuellement servie à 196 personnes.

Dans le même domaine, il faut signaler la solidarité aux malades: et aux accidentés du travail qui s'exerce avec une généreuse bienveillance.

Afin de remplir ses devoirs envers la jeunesse et faciliter le recrutement des jeunes travailleurs ayant reçu une solide instruction, condition essentielle dans une industrie exigeant des connaissances scientifiques et une grande habileté manuelle, l'A. 0. I. P. décida, en 1914, la fondation d'une Ecole professionnelle dans l'atelier social ; elle fut inaugurée en 1917, la guerre ayant retardé son ouverture. Depuis cette époque, elle forme des ouvriers qualifiés ayant pour tâche de continuer l'œuvre de leurs aînés et d'élargir le rayonnement de l'idéal humain de la Coopération. Les résultats enregistrés sont tout à l'honneur des pionniers d'un tel programme éducatif.

CINQUANTE ANS DE PRECISION

Un demi-siècle d'activité, qui se continue sous la direction éclairée du président Ribeyre, entouré d'une phalange de collaborateurs et d'associés dévoués, est une affirmation de vitalité de la formule coopérative.

Cinquante ans de précision ! Une telle victoire a ses caractères majeurs : précision dans le travail, précision dans l'organisation, précision dans la réussite. L'A. 0. I. P. occupe environ 900 personnes; la superficie couverte par ses ateliers, magasins et bureaux est de 13.500 mètres carrés; son chiffre d'affaires pour les dix premiers mois de 1947 s'est élevé à 240 millions.

Les grandes administrations et de grosses firmes passent des commandes en permanence; de telles -références sont le fait de livraisons irréprochables du point de vue technique et aussi de prix calculés avec une rigueur qui assure à l'A. 0. I. P. le premier rang sur les marchés correspondant à ses activités.

Disons un mot de celles-ci; elles portent, notamment, sur la construction du matériel téléphonique, manuel et automatique; sur les appareils de mesures électriques : galvanomètres, ampèremètres, voltmètres-, boîtes de résistance, etc. ; sur les gyro-compas de navigation pour la marine marchande. Nous ne nous livrerons pas à un éloge fastidieux de l'A. O. I. P.; l'éloquence des faits nous eu dispense. Nous concluerons fortement et simplement :

Une conscience professionnelle qui ne se dément pas, des ateliers où le travail aux pièces est inconnu et où il est avantageusement remplacé par du travail réfléchi, soigné, des exécutions parfaites à des prix minutieusement établis, une solidarité toujours en éveil pour la sauvegarde de la dignité du travailleur, tels sont les titres de noblesse démocratique d'une Association qui porte avec orgueil le drapeau de la Coopération à l'avant-garde du progrès, où elle s'est résolument engagée et maintenue.

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