la Résistance à l'A.O.I.P. |
Le Maire du 13e, Jérôme Coumet, et la municipalité, ont choisi, sur proposition de Serge Boucheny *1, auteur de l'ouvrage Les Parisiens en Résistance, Paris 13e
*2, de commémorer la Journée nationale de la Résistance 2015 devant la plaque commémorative des morts 1939/45 de l'A.O.I.P., fraîchement réinstallée 14 rue Charles Fourier.
De par ses origines, le personnel de la coopérative est majoritairement de gauche : anarchistes, communistes, socialistes. Il a, de plus, une forte implication syndicaliste. On peut dire que la Résistance commence en 1936, avec des salariés qui iront combattre Franco en Espagne. Combien sont-ils ? Difficile à dire. Probablement plus d'une dizaine, j'en ai repéré pour le moment au moins deux : José Albert, d'origine espagnole (plaque) ; Lucien Wattecant *3, cité dans le dictionnaire biographique du monde ouvrier (le Maitron) ; mais je sais qu'il y en a eu d'autres, comme Albert François *4, cité ci-dessous...
Lorsque la guerre éclate, en septembre 1939, une partie du personnel est mobilisée. A la fin des huit mois de cette Drôle de guerre, certains seront fait prisonniers, d'autres reviendront.
Une fois l'armistice signée par Pétain, la capitale est en territoire occupé par les Allemands. Les syndicats et les partis politiques sont interdits, la coopérative doit s'adapter, si elle veut continuer à faire vivre ses salariés, mais pas facile à gérer quand on travaille principalement pour les administrations françaises ! Donc indirectement pour l'occupant.
A travers les documents que je possède sur l'A.O.I.P., la Résistance n'apparaît qu'au moment de la Libération de Paris :
18 août 1944, la résistance déclare l'insurrection de la capitale. Dès le matin, le Conseil décide d'arrêter le travail le soir même et de ne pas ouvrir le lundi. Un groupe composé de 5 à 6 camarades de l'atelier, dont des sociétaires, se présentent à 15h accompagnés d'un cheminot responsable de la résistance et de plusieurs autres personnes qui bloquent la porte et le standard revolver au poing. Le groupe est informé de la décision prise le matin de fermer l'établissement jusqu'à nouvel avis après la paie qui avait lieu vers 16h. Il demande de réunir le personnel pour le mettre au courant de la situation et lui demander de débrayer. Le conseil est surpris de cette occupation toute spectaculaire d'une demi-heure alors que l'arrêt était acquis et communiqué à tout le personnel depuis le matin.
Le 23 août, Prud'homme informe qu'un comité de résistance dont il est responsable est mandaté officiellement par le comité local de résistance pour assurer la sécurité de l'usine pendant la période de grève. Le conseil remercie les membres du comité de résistance de l'initiative prise en cette occasion pour préserver l'usine.
Le 29 août, reprise du travail, deux camarades ont été blessés aux barricades.
Lors de l'Assemblée Générale de novembre 1944, il est fait mention de 96 déportés, certains raciaux, d'autres politiques : y-a-il des Résistants arrêtés ?
Dans la monographie d'après-guerre, on note que :
Parmi les sources, j'ai consulté le dictionnaire biographique du monde ouvrier (le Maitron). On y trouve :
Durant l'occupation allemande, Löffler entra dans la Résistance ; il fut responsable "de masse" dans l'usine AOIP et diffusa la presse clandestine ; il organisa des réunions clandestines en Seine-et-Marne.
Mobilisé en 1939 sur la ligne Maginot, il fut renvoyé à son usine [AOIP] en affectation spéciale à la fin de l'année, et participa, pendant l'occupation allemande, à la résistance syndicale aux côtés de Clément Delsol, Albert Gazier et Delamare.
Le mot Résistance évoque l'idée de sabotages : y-en a-t'il eu dans cette entreprise qui travaillait pour l'Administration ? Les seuls échos que j'ai eu de cette période sont des histoires de cuivre, ou matières premières, cachés dans les planchers. On peut aussi supposer des retards de livraison mais probablement pas de vrais sabotages, je pense que les ouvriers étaient attachés à leur outil de travail. Par contre, il est possible qu'il y en ai eu en Allemagne dans des entreprises où travaillaient des prisonniers, des requis S.T.O. (comme Bessette, figurant sur la plaque).
Autre activité en rapport avec la Résistance, la distribution de tracts : c'est sans doute là qu'on trouvera le plus d'actions, comme Löffler, cité ci-dessus. Ces actions sont souvent le fait de militants communistes, après l'Appel à la Résistance de Jacques Duclos et de Maurice Thorez, du 10 juillet 40. Dans un ouvrage relatant l'histoire de ce parti, le 13e arrondissement de Paris, du Front Populaire à la Libérations *7
, nous trouvons de nombreux passages relatifs à l'A.O.I.P. :
Mais dans les boîtes, la tâche des camarades n'est ni simple, ni exempte de danger, et nous ne soulignerons jamais assez le mérite des membres du parti qui en sont les artisans, notamment : [...], Lachasse, Désir, Muninger, Ehrmann, Herveleu, Boidart, Séreny, à l'A.O.I.P., (p113 à 115) Toujours sous la direction d'Anjolvy, je prends la parole devant les usines Panhard, devant l'A.O.I.P.,
(p137) Dans la même période [début 42], des prises de parole et des actions plus positives sont organisées chez Delahaye, chez Panhard, à l'A.O.I.P., et en de nombreux points du 13e
(p151) j'ai personnellement conservé les liaisons avec les entreprises Chaize, A.O.I.P., et Panhard. [...] vers mars-avril 1943, Leprince attire mon attention sur un camarade qui travaille à l'A.O.I.P. et qui pourrait (selon ses dires) prendre un poste de direction dans l'organisation du P.C. ou des F.T.P. Ce camarade se nomme Alfred François *4 ; je ne le connais pas et je ne fais pas le rapprochement avec Germaine François qui avait été arrêtée en 1941. Leprince et Herveleu me le présentent et nous prenons rendez-vous pour discuter plus profondément. Je sens immédiatement que ce copain est solide ; qu'il a forte personnalité et beaucoup d'expérience, et je décide de la présenter à Delay-Raynal. J'apprends plus tard qu'il était un ancien des Brigades internationales et que, comme Fréchard, Lucien Sampaix et bien d'autres, il avait été arrêté pendant la Drôle de guerre, puis interné, notamment à Fort-Barrault, avant de se retrouver après mille péripéties, à l'A.O.I.P. Delay-Raynal, Alfred François et moi-même, composons le triangle régional. Alfred François assure la liaison avec les grandes entreprises du 13e ; il me donne le contact avec Germaine, sa femme, que je n'avais pas revue depuis 1941, date de son arrestation. [...] Le 14 juillet, une manifestation patriotique est organisée, sous la responsabilité de Germaine François, au monument aux Mères, boulevard Kellermann. De nombreuses femmes y participent et déposent de petits bouquets de fleurs tricolores. Il y a une centaine de participants dont un grand nombre du 13e. François et moi sommes responsables sur place. Cette action remporte un succès qui ne passe pas inaperçu dans le quartier. Les entreprises Panhard, Gnome-et-Rhône, Chaize, A.O.I.P., sont représentées. J'aperçois Leprince, Herveleu, Bellic, Brion et de nombreux autres [...]. Le bilan que nous faisons de cette opération est positif. Nous sommes satisfaits et avons le sentiment d'avoir réalisé un bon travail car non seulement tout s'est bien passé, mais encore et surtout la population, qui jusque-là est réservée, a eu une attitude nettement favorable. Sous l'impulsion d'Alfred François, nous faisons distribuer un important matériel de propagande appelant à des débrayages dans les entreprises du 13e. Cela commence à s'agiter mais il faut insister et poursuivre sans relâche notre travail d'explication et d'agitation. Il faut saisir le bon moment pour organiser et réaliser rapidement tel ou tel objectif. En août 1943, l'action que nous avions projetée et réalisée, se déclenche chez Gnome-et-Rhône, chez Chaize et à l'A.O.I.P. cela se traduit par des arrêts de travail, de durées variées, dirigés contre les départs en Allemagne dans le cadre du S.T.O. L'action dure trois semaines, puis nous l'arrêtons pour préserver l'avenir. C'est que maintenant nous avons un solide appareil technique d'impression de tracts, mais aussi de transport...
(p166 à 168)
Il y a aussi une forme de Résistance qui a consisté à aider les familles de prisonniers, de déportés (voir le témoignage d'un fils de déportés).
A l'occasion de l'exposition sur la Résistance, à la Mairie du 13e, pour le 70e anniversaire de la fin de la guerre, le nom d'A.O.I.P. apparait dans une citation : Il y avait une organisation de Résistance à l'intérieur de l'A.O.I.P. qui se manifestait surtout par une aide financière
(témoignage Ledoux).
Sur le même panneau de l'exposition, un nom a retenu mon attention : Lucien Coone, arrêté le 29 mars 1941 à son domicile 32 rue de l'Espérance, en même temps que Lucien Sampaix *8, et déporté à Buchenwald. J'avais entendu parler d'un Lucien Cone, travaillant à l'A.O.I.P., et qui avait été déporté, s'agit-il du même ? Si j'en crois l'Assemblée Générale de 1996, annonçant le décès du sociétaire Lucien Coone, je pense qu'on a à faire au même homme. (On trouve quatre articles de l'Humanité, 1938 et 39, signés Lucien Coone). Par contre, je pense qu'il est entré à l'A.O.I.P. après guerre (1946 ou 47).
Lors d'une rencontre avec Serge Boucheny, il me fit découvrir un tract de mai 1957 invitant à un rassemblement devant la plaque commémorative des morts 39/45 de l'A.O.I.P., à l'occasion du 12e anniversaire de la fin du fascisme. Sur ce document figure le nom de déportés, résistants, prisonniers et de descendants...
LV, mai 2015
*1 : Serge Boucheny, Président des Amis du Musée de la Résistance nationale à Champigny, membre de l'Institut CGT d'Histoire Sociale de la Métallurgie ; ancien militant syndicaliste, député du 13e arrondissement (1967/1968), Sénateur de Paris (1969/1986) ; http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article17394, notice BOUCHENY Serge par Claude Pennetier, version mise en ligne le 20 octobre 2008.
*2 : Les Parisiens en Résistance, Paris 13e
, de Serge Boucheny *1, préfaces de Bertrand Delanoë et Jérôme Coumet. Geai bleu Éditions & Cris, mars 2013.
*3 : Lucien Wattecant, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article135233, notice WATTECANT Lucien, version mise en ligne le 30 novembre 2010.
*4 : Alfred et Germaine François, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article114108, notice FRANÇOIS Alfred et Germaine, version mise en ligne le 24 novembre 2010.
*5 : Paul-Adolphe Löffler, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article118769, notice LÖFFLER Paul-Adolphe [LOEFFLER, LŒFFLER, LOFFLER). Pseudonymes : Lovas Andor, Lovass Antal, Làszlo Pàl, Marath, A. Le Fleur, Alfa, Lap, Al par Nicole Racine, version mise en ligne le 24 novembre 2010.
*6 : Albert Lemire, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article117720, notice LEMIRE Albert, Adolphe par Jean-Louis Panné, Jean Prugnot, version mise en ligne le 24 novembre 2010.
*7 : Le 13e arrondissement de Paris, du Front Populaire à la Libérations
, ouvrage collectif Pascal Plagnard, Louis Chaput pour la Résistance, Germaine Willard, Roland Cardeur, les frères Auguste et Lucien Monjauvis *9, préface de Georges Marchais. Les Editeurs Français Réunis, novembre 1977.
*8 : Lucien Sampaix, rédacteur de l'Humanité, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article130394, notice SAMPAIX Lucien par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 30 novembre 2010.
*9 : Lucien Monjauvis, député de la Seine de 1932 à 1936, aurait travaillé à l'A.O.I.P. de 1938 à 1942 ; http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article122751, notice MONJAUVIS Lucien, Henri dit MONTGEAU par Claude Pennetier, version mise en ligne le 30 novembre 2010.
Suite : les morts de la plaque commémorative